Le coronavirus ne disparaîtra pas de sitôt. Dans l’avenir proche, les intérêts antagoniques des diverses classes et couches sociales s’affronteront dans la lutte contre les conséquences de la pandémie du Covid-19, que la société subira sur les plans sanitaire, économique, politique et social.
Beaucoup de thèses centrales défendues par la gauche radicale ont été corroborées pendant la crise sanitaire, qu’il s’agisse de la nécessité de rompre avec les politiques néolibérales et austéritaires, de développer les services publics, notamment au niveau de la santé publique, de s’engager résolument sur la voie d’une transition écologique ou encore de réguler l’économie par une intervention publique conséquente. Le principe de faire prévaloir l’intérêt général sur l’intérêt particulier, que la gauche radicale a défendu depuis toujours, a plus que jamais été confirmé pendant la crise engendrée par la pandémie du Covid-19.
Obstacles à la progression de la gauche radicale
Cependant, à l’heure actuelle, la gauche radicale ne progresse pas de façon substantielle dans la plupart des pays capitalistes hautement développés. Les causes de ses performances politiques modestes sont multiples et se situent tant au niveau subjectif qu’objectif.
La gauche radicale souffre toujours d’un manque de crédibilité dû aux défaites historiques subies au cours de la récente période historique. Ce qui pèse encore plus lourd est le fait, qu’elle n’a pas su développer un programme politique crédible, entraînant l’adhésion de larges secteurs des classes et couches subalternes.
Si les facteurs subjectifs jouent un rôle, les obstacles majeurs à une progression rapide de la gauche radicale se situent cependant au niveau objectif.
Les sociétés des pays capitalistes hautement développés se montrent souvent résilientes aux thèses et principes soutenus par la gauche radicale. La conscience des masses populaires dans ces pays est profondément modelée par le néolibéralisme exerçant une hégémonie idéologique, culturelle et politique depuis plusieurs dizaines d’années.
Lutte des classes d’en haut
Les contre-réformes néolibérales, qui ont abouti à une explosion des inégalités sociales dans tous les pays où elles ont été appliquées, ne sont pas le produit du hasard. Le terrain a été préparé de longue main par une intense guerre des idées, menée par les puissants.
Dans cette guerre idéologique un rôle majeur revient à une multitude de structures de réflexion et de concertation informelles, à l’instar du Council on Foreign Relations (CFR), du groupe Bilderberg, de la Commission trilatérale ou encore de la Société du Mont-Pèlerin[1].
Ce dernier think tank a été conçu comme une véritable machine de guerre idéologique pour contrer tant les expériences socialistes, qui ont vu le jour après la Seconde Guerre mondiale, que les États-providence conquis de haute lutte, à la même époque, par le mouvement ouvrier dans les pays capitalistes avancés.
La Société du Mont-Pèlerin a été fondée en 1947 par, entre autres, Friedrich Hayek, l’un des principaux opposants de John Maynard Keynes, le grand théoricien du « capitalisme régulé », Karl Popper, Ludwig von Mises et Milton Friedman. Le think tank s’était donné pour mission de rendre largement majoritaire dans la société civile la thèse selon laquelle le système capitaliste est indépassable.
Aux dires des fondateurs de la Société du Mont-Pèlerin :
- la liberté est uniquement possible dans une société de marché ;
- la dignité humaine et l’inégalité ne sont pas contradictoires ;
- le totalitarisme et une politique de redistribution sont complémentaires ;
- les droits humains n’étaient jamais destinés à promouvoir l’égalité sociale.
De nos jours, ces thèses influencent fortement la conscience collective des peuples, y compris celle des classes et couches subalternes. Elles démontrent tout particulièrement leur grande nocivité dans une période spéciale, comme la crise sanitaire actuelle en constitue une.
Une lutte efficace contre la pandémie du Covid-19 devrait reposer essentiellement sur une riposte organisée solidairement à partir de la base de la société avec l’appui du monde de la science, dont l’indépendance vis-à-vis des intérêts privés financiers serait assurée, et, subsidiairement, sur l’action d’instances étatiques jouissant d’une large légitimité démocratique. Chaque jour, l’actualité nous informe cependant que nous en sommes loin du compte !
Les solidarités populaires spontanées avec les plus faibles font souvent cruellement défaut. La méfiance envers la gestion de la crise par les États bourgeois, aussi justifiée puisse-t-elle être en maintes occasions, dérive fréquemment vers des hystéries collectives, tantôt de nature complotiste, tantôt de nature hygiéniste.
De telles dérives constituent un terreau propice à la propagation des idées véhiculées par les droites populistes et extrêmes. Le risque est grand que des solutions simplistes, comme l’appel à un « homme fort », le recours à des méthodes de gouvernement autoritaires et la remise en cause de l’État de droit, trouvent un appui grandissant dans la population.
Appliquer les priorités correctes
Évidemment, la gauche radicale doit être à l’avant-garde du combat contre de telles idées nauséabondes. Pour autant, elle ne peut pas se limiter à défendre l’État de droit de manière abstraite. Sans renoncer en rien à cet important combat démocratique, ni aujourd’hui, ni demain, au cours d’une souhaitable transition sociale et écologique, la gauche radicale doit situer ses priorités politiques sur le terrain de la justice sociale, de la redistribution des richesses et de la défense des plus faibles, en toutes occasions.
En temps de crise engendrée par la pandémie du Covid-19, une telle approche implique le soutien à toutes les précautions individuelles et collectives, qui doivent être adoptées en vue d’enrayer la propagation du virus, ainsi que l’engagement conséquent pour un puissant système de santé publique doté de tous les moyens nécessaires.
De façon générale, la gauche radicale doit adopter une orientation conquérante. Au niveau de son travail dans la société civile, elle doit lutter pour contrecarrer les idéologies bourgeoises prônant la concurrence tous azimuts et elle doit promouvoir, en toutes occasions, des alternatives solidaires, humanistes et inclusives. Un défi majeur à relever par la gauche radicale consiste à éviter que les classes et couches populaires se divisent le long de frontières artificielles liées à la crise du coronavirus.
Au niveau programmatique, la gauche radicale doit esquisser un projet de société, qui représente une alternative crédible au système capitaliste et productiviste. Cependant, pour obtenir l’appui de larges couches populaires, elle doit développer parallèlement un programme politique à court terme qui coïncide avec les intérêts socio-économiques immédiats de ces dernières.
En procédant ainsi, la gauche radicale fera vivre l’espoir de nouveaux « Jours heureux »[2].
[1] Afin d’approfondir le sujet, lire l’article de Thierry Brugvin publié sur le blog d’Attac France le 13/04/2009 « L’influence des lobbies sur la politique internationale » : https://blogs.attac.org/commission-democratie/situations-non-democratiques/article/linfluence-des-lobbies-sur-la-politique-internationale
[2] « Les Jours heureux » est le titre du programme d’action à fort contenu social adopté en France par le Conseil national de la Résistance (CNR) le 15 mars 1944.