Les temps sont loin où Madame Margaret Thatcher a pu dire : „There is no such thing as society“ (la société n’existe pas)[1].
Un minuscule virus nous rappelle une évidence. Les hommes et les femmes ne peuvent exister et s’épanouir sur cette planète qu‘en s‘intégrant solidairement dans une communauté. Ce rappel peut être bénéfique, alors que les défis du changement climatique exigeront de l’humanité des efforts collectifs beaucoup plus grands que ceux qui nous sont demandés aujourd’hui.
L’intérêt général doit primer l’intérêt particulier
Dans un état de crise tel que nous le vivons actuellement les réalités rattrapent vite les constructions culturelles et idéologiques du néolibéralisme. Ainsi depuis plusieurs semaines nos dirigeants politiques nous rappellent quotidiennement que l’intérêt général doit primer l’intérêt particulier. Et que l’urgence du combat conséquent contre la propagation de la pandémie de Covid-19 doit l’emporter sur des considérations économiques.
En un temps record les sociétés occidentales ont dû se réapproprier la notion d’intérêt général. Sans mesures collectives acceptées et implémentées largement par la population, nous serions désarmés face à la menace du coronavirus et les pertes en vies humaines seraient beaucoup plus grandes.
Avant nous, la Chine populaire a réussi à endiguer la pandémie de coronavirus, qui était partie fin 2019 de la métropole chinoise de Wuhan. La présence à plus ou moins grande échelle d’une conscience collectiviste dans la population, dont l‘origine se trouve tant dans la culture confucianiste ancestrale que dans les éléments socialistes présents à l’état embryonnaire dans la société chinoise moderne, a certainement contribué à ce succès.
Évidemment le danger de dérives autoritaires et d’instrumentalisation au profit d’intérêts particuliers existent dans une situation extrême tel que nous la vivons aujourd’hui. Il est d’autant plus important que les forces progressistes fassent un constant travail de pédagogie populaire pour que les réponses aux menaces actuelle et futures émanent d’un effort collectif librement consenti.
L’adieu à l’État « veilleur de nuit »
La crise du coronavirus a engendré un autre dommage collatéral. Si auparavant la main invisible du marché donnait des signes de faiblesse, elle vacille maintenant. Nous assistons en ce moment à la mort annoncée du système néolibéral tel que nous l’avons connu au cours de la récente période historique.
En rupture avec un modèle néolibéral, qui a largement contribué à l’impréparation de maints pays face à la pandémie, l’État est en train d’opérer un retour sur scène remarqué. Se détourner d’une politique, qui au nom de l’austérité et de la rigueur budgétaire a démantelé les services publics à commencer par ceux de la santé, est exigé aujourd’hui par un large éventail de forces politiques et sociales.
Face à la menace sanitaire et à la récession économique engendrée par celle-ci, nos élites bourgeoises sont obligées à redécouvrir l’État.
Soit dit en passant : dans le passé, les classes dirigeantes n’avaient jamais « oublié » l’État et son pouvoir coercitif afin de perpétuer leur pouvoir sur la société à chaque fois qu’elles ne réussissaient plus à garantir leur domination par la seule hégémonie culturelle et idéologique.
En ce moment, le retour de l’État ne s’opère pas uniquement au niveau de la politique de santé publique. Face à la récession économique engendrée par la crise du coronavirus, les appels à l’État fusant de secteurs les plus divers de la société se font de plus en plus pressants.
Les derniers temps la lecture des journaux nous réserve des surprises qui font que nous restons bouche bée.
Ainsi lorsqu’on lit une interview de Wolfgang Schäuble, celui-là même qui en tant que ministre des finances allemand avait imposé au peuple grec, contre sa volonté exprimé le plus démocratiquement possible, une politique austéritaire mortifère. Au nom de la sacro-sainte doxa néolibérale et des règles budgétaires européennes en découlant ! Ce même Wolfgang Schäuble déclare maintenant dans une interview à la Augsburger Allgemeine[2] qu‘à l‘avenir nous devrons procéder à une réévaluation ce la relation entre économie de marché et régulation étatique. Pour conclure, sans état d’âme, que le modèle néolibéral tel que nous l‘avons connu au cours de la période récente est entrée dans une crise finale.
De tels propos dans la bouche d’un grand prêtre du néolibéralisme nous laissent deviner l’ampleur de la crise à venir. Le marché libre sera incapable de gérer les conséquences de la récession économique dans laquelle nous entrons inévitablement. Comme en temps de guerre, le capitalisme ne pourra survivre que par des interventions étatiques massives à tous les niveaux.
Nouveaux défis pour les forces anticapitalistes
Par une ironie de l’Histoire, une revendication essentielle des forces de progrès est en train de se réaliser : le primat du politique sur l’économie.
Le roi capitaliste est nu ! Il ne pourra plus se cacher derrière de prétendues lois économiques naturelles s’imposant à tous.
Qui tirera profit des interventions de l’État dans l’économie ? Les intérêts antagoniques entre les grands détenteurs du capital et la masse des salariés deviendront beaucoup plus transparents. Les débats publics s’en trouveront revigorés. La bifurcation devant laquelle se trouve l’humanité sera perçue par beaucoup plus de gens : retour ultérieur à un nouveau modèle néolibéral ou avancées conséquentes en direction d’une transition sociale et écologique.
Des brèches sont en train de s’ouvrir dans lesquelles les forces anticapitalistes pourront s’engouffrer. Elles devront se doter d’outils théoriques, programmatiques et organisationnels leur permettant d’être à la hauteur des défis de la nouvelle séquence historique !
[1] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/margaret-thatcher-en-10-citations_1238445.html
[2] https://www.augsburger-allgemeine.de/politik/Schaeuble-ueber-Parlament-in-Corona-Krise-Hier-wird-nichts-durchgewunken-id57246676.html